LPT - Les Reines des quantiques

- LPT - Les Reines des quantiques

Quels sont les états les plus quantiques qu'il soit possible de produire ? Et quelles sont leurs propriétés ? Le développement de l'informatique quantique rend ces questions très actuelles et pertinentes. Aujourd'hui apparaissent en effet les premiers petits processeurs quantiques ("qubit"), grâce auxquels les chercheurs arrivent à manipuler de façon cohérente quelques bits quantiques ou encore des systèmes ayant un petit nombre d'états de base quantiques. Dans un article paru dans le New Journal of Physics, une équipe de trois chercheurs dont Daniel Braun du Laboratoire de physique théorique répond à ces questions.

Quels sont les états les plus quantiques qu'il soit possible de produire ? Et quelles sont leurs propriétés ? Le développement de l'informatique quantique rend ces questions très actuelles et pertinentes.

Aujourd'hui apparaissent les premiers petits processeurs quantiques, grâce auxquels les chercheurs arrivent à manipuler de façon cohérente quelques bits quantiques (« qubits ») ou encore des systèmes ayant un petit nombre d'états de base quantiques. A titre d'exemple, le groupe du professeur Rainer Blatt à Innsbruck (Autriche) manipule avec grande précision jusqu'à huit qubits codés dans des ions piégés de potassium, donnant accès jusqu'à 256 états de base. L'équipe a notamment pu produire des états analogues au fameux chat de Schrödinger ' une superposition de tous les qubits dans l'état ‘0' (état fondamental) et de tous les qubits dans l'état ‘1'(état maximalement excité). Un tel état diffère drastiquement de tout état qu'il serait possible de construire classiquement. Mais la question se pose de savoir s'il existe d'autres états qui seraient encore plus radicalement quantiques.

Une équipe de trois chercheurs (Olivier Giraud au laboratoire LPTMS à Orsay, Peter Braun, professeur à l'Université Duisburg-Essen et à St. Peterbourg, et Daniel Braun au laboratoire LPT à Toulouse) a maintenant répondu à cette question. Dans un article paru dans le New Journal of Physics, ils ont d'abord introduit une mesure rigoureuse de la quanticité d'un état. Cette mesure généralise à des systèmes discrets que sont les qubits une approche vieille de plus de 20 ans en optique quantique. Elle permet notamment de quantifier la quanticité sans faire appel à un découpage en soussystèmes, ce qui permet de s'affranchir de la question de l'intrication quantique.

La quanticité d'un état est mesurée par sa distance à l'ensemble des états classiques. La notion d'état classique elle-même découle des travaux de Roy Glauber (prix Nobel en physique en 2005), qui a introduit ces états pour la lumière en 1965. Les trois chercheurs ont ensuite trouvé les états quantiques qui maximisent cette quanticité ' les « Reines des Quantiques » (« Queens of Quantum » en anglais). Ils se sont rendu compte que ces états présentent une très grande beauté géométrique quand ils sont décrits dans la représentation de Majorana. Cette approche élégante fut introduite par Ettore Majorana, un physicien Italien prodige, mystérieusement disparu en 1938. Un état y est représenté par des points sur une sphère, et il se trouve que les Reines des Quantiques mènent à des arrangements de points hautement symétriques. Pour des systèmes ayant au maximum quatre états de base, les Reines des Quantiques coïncident avec les états « chat de Schrödinger » prévus, mais pour des dimensions plus élevées les résultats sont plus inattendus. Ainsi, pour cinq états de base, il s'avère plus avantageux de superposer de manière asymétrique l'état fondamental avec un état qui n'est pas l'état maximalement excité.

La Reine des Quantiques de ce système a pour représentation de Majorana un tétraèdre régulier, qui est le corps associé par Platon avec le « feu » dans sa théorie des éléments. On trouve un autre corps platonicien dans le cas où il y a sept états de base. La Reine des Quantiques est alors réalisée par l'octaèdre, que Platon a associé à « l'air ». Néanmoins, toute Reine des Quantiques ne peut être associée à un corps platonicien.

Tout d'abord, il n'existe que cinq corps platoniciens, alors que le nombre de dimensions des bases quantiques est infini. Par ailleurs, il existe des cas où un corps platonicien existe, mais où une configuration de Majorana avec une symétrie plus faible donne une quanticité plus élevée. C'est le cas par exemple pour un système ayant neuf états de base, où le corps platonicien correspondant, le cube, ne permet pas d'obtenir la quanticité maximale. D'une manière générale, les configurations de Majorana qui couvrent la sphère le plus uniformément possible donnent une quanticité élevée. On retrouve ainsi au palmarès de la quanticité des configurations issues de problèmes d'optimisation de la distribution de points sur une sphère (les critères d'optimisation pouvant être divers, par exemple la minimisation de l'énergie de Coulomb entre charges ponctuelles identiques). Une des ces configurations avec un nombre d'états de base élevé, que les chercheurs ont étudiée en collaboration avec deux chercheurs belges (John Martin et Thierry Bastin, de l'Université de Liège), a pour représentation une spirale de points enroulée autour de la sphère, image qui a été sélectionnée par les éditeurs de Physical Review A dans leur caléidoscope d'images scientifiques. Il reste à étudier les propriétés physiques des ces états, ainsi que leur utilité pour des applications. Pour des systèmes avec cinq ou sept états de base il s'est déjà avéré que les Reines des Quantiques sont optimales pour la tâche d'alignement de référentiels, et d'autres applications seront certainement découvertes au fur et à mesure.

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